Marin

Je suis citoyen du plus beau pays du monde, un pays aux lois dures mais simples cependant, qui ne triche jamais, immense et sans frontières, où la vie s’écoule au présent. Dans ce pays sans limite, dans ce pays de vent, de lumière et de paix, il n’y a de Grand Chef que la Mer.

 

Les premiers contacts avec la mer pour Bernard Moitessier ont lieu dans le golfe de Siam, où il passe ses vacances dans un village de pêcheurs. Les virées en petites pirogues avec ses frères, sur le voilier de son père, le Cerf Volant et surtout les embarquements avec les pêcheurs qui l’initient à la navigation sans compas, en contact direct avec les éléments sont la base de son initiation et l’amorce de sa passion pour la mer. Très sportif, il pratique la natation d’une façon intensive et sera une année champion de Cochinchine. Il est aussi « expert » pour grimper aux cocotiers de son village, ce qui lui facilitera la montée aux mâts de ses bateaux.

Marqué par cet apprentissage, il fera de la simplicité de moyens et de l’utilisation des sens un véritable art de naviguer (et de vivre) tout au long de sa vie combinées à une résistance physique et une capacité à produire des efforts importants. C’est le double héritage de ses racines occidentale et asiatique.

La singularité du marin est son cheminement d’autodidacte jusqu’au navigateur expérimenté battant des records presque malgré lui. Se lançant dans les aventures avec l’essentiel, le minimum, apprenant au fur et à mesure par lui-même et au contact des marins de rencontres, rêvant à l’impossible, il a réussi à mettre ses rêves en œuvre avec des solutions simples, peu onéreuses, de la débrouille et la solidarité de nombreuses amitiés. Doté d’une formidable énergie et de grandes capacités physique et mentale, il a su rebondir après chaque situation quasi désespérée. Ses débuts aventureux et ses records ont consolidé son amour immodéré pour la mer et le besoin viscéral de vivre sur un bateau prêt à partir.

« Rêveur d’impossible et de fraternité », selon l’expression de Gérard Janichon, il a entraîné dans son sillage de nombreux adeptes du grand voyage sur l’eau.

L’évolution du vagabond des mers au marin d’exception

Quand il part avec Pierre Deshumeurs en 1951 sur le Snark, il n’a que peu d’expérience, il compte apprendre en route. Partis pour l’Australie, ils ne dépassent pas l’Indonésie et doivent faire demi-tour tout en pompant sans cesse sur leur voilier qui menace de couler, prenant l’eau de toutes parts.

Il part définitivement d’Indochine en 1952, en solitaire, sur sa jonque Marie-Thérèse destination initiale Madagascar, avec en tête les récits d’ auteurs tels Jack London, Alain Gerbault, Erick de Bishop et Henry de Monfreid, qui incitent à l’aventure. Les moyens de connaître sa position sont minimes : un sextant et un compas, juste assez pour calculer une latitude à midi. Ce qui conduit au naufrage aux Chagos suivi de la construction de Marie-Thérèse II. Il va parfaire ses connaissances au gré des escales, au contact des navires rencontrés, acquérir un chronomètre, les conseils des marins et des cartes marines au fur et à mesure. Il n’y a pas de pilote automatique à cette époque, un système de blocage de barre avec des morceaux de chambre à air fait l’affaire. Excellent nageur, il peut entretenir ou réparer sous l’eau.

Après ses années de vagabondage marin de l’Indochine aux Antilles, où il perd Marie-Thérèse II, il va faire construire un voilier solide, un ketch indestructible, en acier, Joshua, pour repartir au long cours et embarquer des stagiaires en école de croisière.

Son audace est au rendez vous quand après une croisière d’Europe en Polynésie par la route des alizés, il se lance dans le trajet Tahiti – Méditerranée par le Cap Horn avec sa femme Françoise en 1966, ce qui constitue un record à l’époque avec 14 216 milles et 126 jours en mer sans escale.

Audace encore quand il envisage ensuite un tour du monde en solitaire et sans escale et participe à la course en solitaire, sans escale et sans assistance, le Golden Globe, en 1968-1969 organisée par le Sunday Times, qu’il prolonge d’un demi-tour du monde supplémentaire jusqu’en Polynésie. Il dispose d’un voilier solide, puissant qu’il fait marcher à son maximum en utilisant un important jeu de voiles.

Il devient un marin renommé pour son talent de navigateur sur tous les océans avec des solutions technique simples et pour sa résistance à la solitude en mer. Sa renommée est aussi liée à sa liberté d’esprit et d’action, quand au cours de la course, donné gagnant, il décide de continuer sa route après six mois de mer, préférant le calme d’une île du Pacifique atteinte au bout de 10 mois, à la gloire et aux honneurs potentiels qu’il aurait rencontrés s’il avait terminé la course normalement en Europe. Son message est devenu célèbre : 

« Je continue sans escale vers les îles du Pacifique parce que je suis heureux en mer et peut-être aussi pour sauver mon âme.»

L’impact médiatique de ce choix et du récit qu’il fit de sa « course prolongée» : la longue route , va donner naissance à de nombreuses répliques plus ou moins semblables du Joshua et entraîner de nombreux aventuriers sur l’eau.

Il vit ensuite sur Joshua, basé en différents points du Pacifique : Polynésie, Nouvelle Zélande, Californie, Hawaï mais celui-ci est jeté à la côte au Mexique lors d’un cyclone en 1982.

Avec son dernier voilier, Tamata, cotre acier, construit en Californie en 1983 et sommairement aménagé, il rejoint Hawaï puis Tahiti en vue de s’y installer pour une période d’écriture, devenue son objectif principal. Le marin quitte son voilier pour la région parisienne et Tamata sera l’occasion de quelques escapades et ressourcements dans les atolls.