Philosophe

Je crois que notre fonction à tous est de participer à la création du monde.

La « longue route » de la vie de Bernard Moitessier peut être vue comme une quête pour garder ou retrouver l’harmonie ressentie en Indochine dans le village des vacances de son enfance, harmonie qu’il nomme Alliance avec l’Univers. Elle avait pour racines la simplicité et la liberté, en lien direct avec la nature, simplicité qu’il qualifie de « cadeau des fées du village avant le départ d’Indochine. » Dans ce pays où les gens se saluent en joignant les mains contre la poitrine pour dire simplement : « je salue le dieu qui est en toi», il avait appris la concentration ou action consciente auprès des pêcheurs :

« Pour calfater vraiment, tu dois entrer dans la fente en même temps que la fibre, devenir toi-même la fibre de cai tram, avec ses yeux à elle. (…) tu auras ainsi les mêmes yeux que l’eau. »

ou encore la recherche d’équilibre :

« Le signe yin-yang gravé près de l’étrave où repose l’ancre est là pour inciter à la recherche de l’équilibre. », ce signe favorisant aussi la protection des dieux.

La guerre d’Indochine ayant détruit le bel équilibre de sa double culture, il a choisi l’exil volontaire vers l’inconnu sur la mer.

On peut voir dans le déroulé de sa vie d’adulte une progression : d’une démarche de découverte individuelle du monde en contact avec la fratrie des « vagabonds des mers » vers une conscience planétaire d’appartenir à l’humanité, partie intégrante de la nature.

En effet, sa « longue route » sur les océans de 1968-1969 s’est révélée une aventure intérieure de dimension « cosmique » pendant laquelle il prend conscience de l’équilibre et de la beauté de la nature (dont il fait partie) et du déséquilibre créé par l’humanité (dont il fait aussi partie). Elle marque un tournant dans sa vie.

« L’universel et le particulier, c’est bien ce que je suis en train de découvrir, tout seul avec moi-même depuis des mois. Seul en apparence, mais complètement mêlé en fait avec l’univers. » écrit-il pendant sa Longue Route en 1969.

« ...ce long face à face avec moi-même(…) amorce d’une vision plus haute et plus étendue de nos responsabilités sur cette planète. »

Conscient et responsable, convaincu de notre capacité à agir sur notre destin, il va ensuite s’efforcer de convaincre ses semblables d’ouvrir les yeux et de se mobiliser pour changer de comportement et éviter le pire.

« Le monde occidental me fait songer à un camion bourré de millions d’êtres humains lancé à toute vitesse vers le Grand Trou ; il est déjà tout près, la vitesse augmente à chaque seconde. Trop tard pour braquer, le bolide capoterait et continuerait en tonneaux sur sa lancée. Trop tard aussi pour le coup de frein, les roues patineraient et le camion finirait inéluctablement dans le gouffre. Il n’y a donc aucune manœuvre pour éviter la catastrophe… pourtant la solution est évidente : décoller. L’homme a inventé l’avion, alors pourquoi pas son parallèle dans une autre sphère, celle de la pensée consciente ? »

S’en est suivi un besoin de transmettre ce constat sous la forme d’actes concrets et aussi de « raids » ou plaidoyers épistolaires pour le respect de la nature, le maintien de la paix, l’amélioration de la communication entre les peuples, la simplicité volontaire, le partage des fruits de la terre, la solidarité, le pardon et enfin pour l’évolution des consciences, autant de combats qui résonnent aujourd’hui d’une grande actualité.

Il nous laisse en héritage ce leitmotiv d’oser sa propre voie, guidé par sa voix intérieure et la vision d’une humanité qui doit impérativement changer de niveau de conscience pour continuer à exister.